"Le management des compétences face aux mutations : évolutions, transformations et ruptures"
Benoît Grasser, Sabrina Loufrani-Fedida, Ewan Oiry
Globalisation, digitalisation, intelligence artificielle, innovations technologiques, nouveaux défis sociétaux … Tous les thèmes saillants de la période contemporaine ont pour point commun d’interroger la manière dont les organisations gèrent et développent les compétences de leurs salariés ou agents (Grasser, Loufrani-Fedida, Oiry, 2020). Que ce soit pour assurer un avantage concurrentiel durable, conduire des mutations organisationnelles, ou s’orienter vers des pratiques socialement responsables, il est en effet de plus en plus nécessaire pour les organisations de savoir identifier les compétences qu’elles détiennent, les faire évoluer en fonction de besoins toujours nouveaux, ou d’en acquérir de nouvelles, toujours plus difficiles à repérer et à attirer.
Dans ce contexte, le management des compétences se trouve confronté à de nombreux défis. Ce n’est pas la première fois, puisque de la gestion des effectifs au management des compétences proprement dite, en passant par la gestion des carrières, la gestion des emplois, ou les différentes formes de GPEC, cette politique et cette pratique de GRH a régulièrement dû se réinventer (Gilbert, 2006). Sans encore en connaître l’ampleur et les spécificités, il semble que la période actuelle soit à nouveau une période de remise en question profonde et de mutation du management des compétences. De nombreuses interrogations se font insistantes.
Les outils de gestion de compétences (cartographie des emplois, référentiels de compétences, passerelles-métiers, etc.) sont par nature longs à élaborer et d’appropriation difficile par les acteurs. De plus, ils supposent un minimum de visibilité sur l’avenir. Faut-il repenser ces outils sur de nouvelles bases ?
La digitalisation, le Big Data et l’intelligence artificielle (Coron, Franquinet, Noël, 2019) viendront-ils bouleverser la question du repérage et du développement des compétences ? Constitueront-ils une aide à la décision efficace et permettront-ils aux services RH de mieux se repérer dans la diversité croissante des profils et des trajectoires des individus ?
Les nouvelles technologies de production (Industrie 4.0, imprimantes 3D, etc.) ouvrent des champs de potentialités inédits, mais, que ce soit dans les services ou dans l’industrie, leur valeur ajoutée dépend largement de la capacité des entreprises à associer les collaborateurs à leur introduction et à leur développement dans les organisations. Plus que jamais probablement, les usages seront déterminants. En quoi cela modifie-t-il la nature des compétences recherchées et leur distribution au sein des collectifs de travail ? Face à l’accélération des innovations, mais aussi face au développement des relations de service dans tous les segments de production, faudra-t-il insister davantage sur les capacités à travailler en équipe, à apprendre, à résoudre des problèmes, à se situer dans des environnements systémiques ? Ces soft skills seront-ils le nouvel horizon du management des compétences ?
Ces nouvelles technologies de production posent aussi la question des formes d’organisation susceptibles d’accompagner et de susciter ce développement de compétences. Seront-elles de plus en plus agiles, organiques et de moins en moins centralisées et mécanistes ? Permettront-elles de nouveaux apprentissages individuels et collectifs ? Leurs frontières seront-elles de plus en plus poreuses pour permettre le travail en réseau, et devront-elles de plus en plus collaborer avec des
partenaires, des concurrents ou encore les acteurs plus institutionnels de la gestion de l’emploi ?
Enfin, dans ces contextes, plus souples et plus incertains, il est nécessaire de s’interroger sur les systèmes d’incitation, les types de contrats psychologiques ou les modèles de GRH qui seront capables de générer un compromis social acceptable et accepté favorable rendant possibles les efforts nécessaires au développement et au partage de compétences. Le développement de l’employabilité (Noël F., Schmidt G., 2021 ; Loufrani-Fedida, Oiry, Saint-Germes, 2015), interne ou externe, sera-t-il au coeur de ces compromis et du dialogue social, et peut-il réconcilier l’entreprise avec ses engagements sociétaux ? Le nouveau contexte réglementaire de la formation professionnelle et de l’apprentissage seront-ils des leviers de l’employabilité, et à quelles conditions pourrait-il l’être ?
Ces questions, et d’autres encore, montrent à quel point le management des compétences doit multiplier les pistes de réflexion pour pouvoir accompagner efficacement la mutation des organisations, et leur permettre de conjuguer habilement des modèles de GRH socialement ambitieux et économiquement performants. Le track « Management des compétences » a pour objectif de permettre les échanges autour de ces réflexions et de les alimenter avec des résultats de recherche récents, empiriques et/ou théoriques.
Coron C., Franquinet A., Noël F., 2019, Digital et RH ; les 4 défis stratégiques : robotisation, collaboration, disruption, marchandisation, Vuibert, 256 p.
Grasser B, Loufrani-Fedida S., Oiry E. (by), 2020, Managing Competences, Research, Practice, and Contemporary Issues, Taylor & Francis, 272 p.
Noël F., Schmidt G (Coord.), 2021, Mutations industrielles & Employabilité, Articuler trajectoires individuelles et projet organisationnel, ISTE éditions 2021, à paraître
Gilbert P., 2006, La gestion prévisionnelle des ressources humaines, La découverte, Collection Repères, 128p.
Loufrani-Fedida S., Oiry E., Saint-Germes E., 2015, « Vers un rapprochement de l’employabilité et de la gestion des compétences : grille de lecture théorique et illustrations empiriques », Revue de Gestion des Ressources Humaines, vol3., n°97, pp. 17-38.